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L'ancien avocat est parti en guerre contre les écoutes massives pratiquées par les Etats-Unis. Avec Edward Snowden, il est à l'origine des révélations du scandale Prism.
ParYves-Michel Riols
Temps de Lecture 6 min.
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Et si à l'origine de l'une des plus grandes affaires mondiales d'espionnage il n'y avait qu'un gros chagrin d'amour ? Il y a de fortes chances que personne n'aurait jamais entendu parler de Glenn Greenwald, ni du vaste programme de surveillance électronique mené par les Etats-Unis dont il a révélé l'existence, s'il n'était venu panser une peine de cœur au Brésil.
Dès son arrivée à Rio, il se rend, avec son chien (il en a aujourd'hui quatorze !), sur la plage mythique d'Ipanema. "Je venais de rompre une relation de onze ans, la dernière chose à laquelle je pensais était de rencontrer quelqu'un", dit-il aujourd'hui d'un air amusé.
Le sort en a voulu autrement. Ou, plutôt, une balle de volley-ball a fait basculer son destin. Et du même coup celui de la NSA, la puissante agence nationale de sécurité américaine, dont Glenn Greenwald est devenu le plus grand pourfendeur. Mais cela viendra plus tard.
Dans l'immédiat, en ce jour de février 2005, Glenn Greenwald croise le regard de David Miranda, venu récupérer la balle égarée qui avait atterri à ses côtés alors qu'il sirotait un thé glacé. Comme au cinéma, "le coup de foudre fut immédiat". Pourtant, tout les sépare, lui, l'avocat américain de 38 ans, et David, 20 ans, "un orphelin élevé par deux tantes alcooliques dans une favela de Rio", relève Glenn Greenwald avec une pointe de fierté.
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Gourdes réutilisables Les meilleures gourdes pour remplacer les bouteilles jetables LirePour vivre avec David, il doit rester au Brésil, car son nouveau compagnon, sans qualification après avoir quitté l'école à 14 ans, avait peu d'espoir d'obtenir un permis de séjour américain. Glenn Greenwald n'a pas hésité et s'installe à Rio. Son travail d'avocat d'affaires aux Etats-Unis commençait à lui peser. Mais comme il fallait gagner sa vie, il continuait à gérer, de loin, son cabinet, tout en ouvrant un blog, autant pour se distraire que pour "faire partie de la conversation politique".
Son premier post de blog porte déjà sur une affaire d'espionnage impliquant Dick Cheney, le vice-président américain de l'époque. "Grâce à ma connaissance du droit, j'ai pu démontrer que le gouvernement mentait", se rappelle-t-il avec plaisir. Le succès fut immédiat, en une semaine il fidélise mille lecteurs. Quelques mois plus tard, Glenn Greenwald en comptera plus de cent mille. Il en a aujourd'hui le double, dont il vit en partie, grâce à une souscription annuelle de ses lecteurs qui lui permet de compléter ses revenus tirés de ses cinq livres, ainsi que de ses conférences et articles.
20 000 DOCUMENTS
Glenn Greenwald abandonne sans regrets sa carrière – "depuis l'enfance on me disait que je serais avocat" – pour épouser sa vocation, celle qui lui vaut aujourd'hui, à 46 ans, une notoriété mondiale : whistle blower, "lanceur d'alertes" contre les "abus" de l'Etat qui "menacent les libertés publiques". Et ce, grâce à Edward Snowden, l'ancien agent de la NSA, réfugié à Moscou, dont il a recueilli, avec la documentariste américaine Laura Poitras, les fichiers volés auprès de la NSA. Une masse d'informations phénoménale, "environ vingt mille documents", selon M. Greenwald, sur l'étendue de l'espionnage électronique opéré par les Etats-Unis à travers le monde.
Depuis ses premières révélations sur l'ampleur de ce système, publiées en juin dans le quotidien britannique de gauche The Guardian, Glenn Greenwald a déclenché un séisme diplomatique. Rarement un seul individu aura provoqué un tel tohu-bohu planétaire. Pas étonnant, donc, que l'Américain ait déjà été contacté par plusieurs studios d'Hollywood, dont il a pourtant décliné les offres, car il veut, à tout prix, conserver la main sur le récit de cette histoire. Les documents de Snowden lui assurent une formidable visibilité et un fonds de commerce inépuisable. "Il n'y a jamais eu une fuite de renseignements de cette envergure, le gouvernement américain me déteste", assure-t-il.
Toutefois, la tâche est trop lourde pour un seul homme, même avec l'aide de son associée, Laura Poitras. Pour se protéger et assurer une plus grande diffusion aux documents subtilisés par Edward Snowden, le duo a décidé de délocaliser son travail en nouant des partenariats avec de nombreux médias, dont Le Monde.
Pour quelqu'un au milieu d'une tempête, Glenn Greenwald est étonnamment calme. Même s'il vit au Brésil depuis plusieurs années, il est resté très américain : jamais un mot plus haut que l'autre, des réponses concises et une courtoisie inébranlable, malgré son téléphone portable qui sonne autant qu'un standard de commissariat de police.
UN NOUVEL ORDINATEUR TOUTES LES TROIS SEMAINES
Glenn Greenwald reçoit au pas de charge dans un grand hôtel de Rio donnant, comme il se doit, sur une plage coiffée de palmiers. A peine assis, il ouvre son sac en bandoulière dont il ne se sépare jamais et en extrait un de ses nombreux ordinateurs. Par précaution, il en achète un nouveau "toutes les trois semaines", qu'il ne branche jamais sur Internet pour éviter tout risque de piratage.
A n'en pas douter, Glenn Greenwald est un homme habité par une mission : "Tout faire pour limiter le pouvoir d'Etat et obliger ceux qui l'exercent à rendre des comptes." Un esprit frondeur qui reconnaît avoir été "un enfant à problèmes, très tôt en conflit avec l'autorité". Elevé avec son frère cadet en Floride, à Lauderdale Lakes, une ville banlieusarde typiquement américaine, il a "une relation tendue" avec son père, un comptable, tandis que sa mère travaille comme caissière là où elle peut, notamment chez McDonald's.
Très vite, il se réfugie chez son grand-père paternel, "un socialiste des années 1930, grand admirateur de Roosevelt" et conseiller municipal, qui l'initiera à la politique. Au point que Glenn Greenwald se présentera, lui aussi, à l'élection locale alors qu'il est encore lycéen. Il échoue mais tire de cette expérience une leçon qui le poursuit toujours : "J'ai aimé le combat, les débats publics, mais je savais que mon talent n'était pas de plaire au plus grand nombre." C'est pour le moins un euphémisme au vu du scandale mondial qu'il a déclenché.
Avant cela, le jeune avocat qu'il était avait déjà suscité des polémiques en défendant des groupes néonazis américains au nom d'une vision radicale de la liberté d'expression. La même qui le pousse également aujourd'hui à soutenir que "les Etats-Unis sont la plus grande source de mal dans le monde", en raison, dit-il, de la puissance de l'Amérique qui la rend responsable, à ses yeux, "de la plupart des violences mondiales, à commencer par la guerre en Irak". Des propos qui font naturellement bondir ses compatriotes et, au-delà, tous ceux qui ne partagent pas le prisme libertaire de M. Greenwald.
90 MINUTES DE SOMMEIL PAR NUIT
Mais, sans la rencontre avec Edward Snowden, Glenn Greenwald serait resté dans l'ombre, un polémiste de talent parmi d'autres. Avec Snowden, dit-il, "le courant est tout de suite passé". Ils se retrouvent, à la demande de ce dernier, qui avait repéré les écrits de Greenwald sur les dangers de la surveillance digitale. Le premier rendez-vous se déroule dans un hôtel d'Hongkong, début juin, où l'ancien conseiller de la NSA avait choisi de fuir avec ses dossiers explosifs.
Galvanisé par les documents que vient de lui remettre Snowden, Glenn Greenwald travaille d'arrache-pied : "Je n'ai dormi que quatre-vingt-dix minutes par nuit pendant onze jours." Fin juin, ses premières révélations font la "une" de la presse mondiale. L'affaire est loin d'être terminée. Même si elle repose sur un cruel paradoxe : Edward Snowden, l'apôtre de la transparence, doit sa protection à la Russie, un pays qui pratique aussi à outrance l'espionnage et la surveillance de ses citoyens.
Autre bémol : Glenn Greenwald assure qu'il "n'aidera jamais les pays ennemis des Etats-Unis à échapper à la surveillance" en dévoilant des documents qui pourraient compromettre les activités des services américains vis-à-vis des Etats hostiles à son pays. Jusqu'à présent, toutes les révélations provenant des dossiers Snowden concernent uniquement les pays alliés de Washington.
Mais on a du mal à imaginer que les Chinois et les Russes n'aient pas été tentés de regarder de plus près le contenu de l'ordinateur d'Edward Snowden. "Il n'y a aucune preuve que Snowden ait jamais livré quoi que ce soit à la Russie et à la Chine", estime Glenn Greenwald. "D'ailleurs, poursuit-il, l'idée que l'on puisse accéder aux fichiers hypersécurisés de Snowden sans son consentement est absurde." Pour Glenn Greenwald et Edward Snowden, il est vital que cette version soit la bonne. Sinon, les accusations de "trahison" à leur égard ne manqueront pas de redoubler aux Etats-Unis. Avec de lourdes conséquences.
Yves-Michel Riols
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